Pourquoi apprendre à reconnaître les plantes et les animaux ? Pourquoi chercher à les nommer ? Et quel rapport avec le dessin ?
Ces questions reviennent souvent et c’est vrai qu’à priori la réponse n’est pas forcément évidente. Après tout, c’est vrai, vous ne voulez peut-être pas forcément devenir un super expert des plantes, des oiseaux ou des insectes, alors pourquoi s’embêter à apprendre à les reconnaître ?
Dans cet article, je voudrais revenir sur 2 points en particulier : pourquoi nommer permet de mieux voir / d’être plus curieux et pourquoi ça permet aussi de retenir plus facilement ce que l’on découvre.
Nous verrons aussi pourquoi ça peut-être un piège et comment le dessin et le Nature journaling peuvent permettre d’autres approches pour découvrir la nature, qui sont très complémentaires.
C’est parti, bonne découverte ! 🙂
Nommer pour mieux voir
L’importance des mots
Quand on a pas de mots pour désigner quelque chose, c’est très compliqué de le voir.
C’est ce qu’a montré une expérience sur la perception des couleurs1,2 menée en 2006.
Cette étude a permis de comparer la perception des couleurs du peuple Himba, en Namibie, avec la perception de la couleur pour des personnes parlant anglais.
La grande différence entre ces 2 groupes est que là où le peuple Himba n’a pas de mot spécifique pour parler du bleu, il en a plusieurs pour parler du vert. En Anglais (comme en Français d’ailleurs), c’est l’inverse : il existe un mot pour le bleu, mais il n’en existe aussi qu’un seul pour le vert dans le langage courant.
Pour chaque groupe, 2 ensemble de couleurs sont présentés :
- Une palette de vert avec un vert légèrement différent,
- Une palette de vert avec un bleu parmi les verts.

Vous avez trouvé le vert différent des autres ? (Media tumblr)
Résultat ?
Les Himbas arrivent sans mal à reconnaître le vert qui est différent mais n’arrivent pas à trouver le bleu parmi tous les verts.
Pour les personnes parlant anglais, c’est exactement l’inverse : c’est très compliqué de trouver le vert qui est différent parmi tous les verts mais c’est assez évident de trouver le bleu parmi les verts.
Mais quel rapport avec la nature allez-vous sûrement vous demander ?
En fait, c’est la même chose pour tout : si on a pas de mot pour désigner quelque chose, on y est moins attentif et on a du mal à voir les nuances.
Pour les oiseaux par exemple, si on ne connaît pas le mot «Pinson» ou «Accenteur» et qu’on voit deux oiseaux d’un peu loin ou un peu rapidement, qui ont la taille et l’allure d’un moineau, on risque de se dire que ce sont deux moineaux, même s’il y a deux espèces différentes.
Si on connait peu d’oiseau blanc, de taille moyenne, qui vivent près de l’eau, on risque de tout mettre dans la catégorie «mouette», et ne pas remarquer que là où on pensais qu’il n’y avait que des mouettes, il y a en fait 2 ou 3 espèces différentes peut-être.



Ce Goéland à l’air un peu enérvé … on l’a peut-être pris pour une Mouette (dans l’ordre, à gauche, à droite et en bas : Goéland, Sterne et Mouette, Pixabay)
Mettre des mots permet donc de voir plus de nuances, d’être plus attentif. Ça rend le monde plus riche et plus diversifié en entraînant nos capacités à percevoir des différences au lieu de voir un gros paquet uniforme. C’est aussi une source continuelle d’émerveillement.
Mais apprendre à reconnaître et mettre des noms sur les espèces permet aussi une démarche active d’observation et de mémorisation.
Pour en parler, je vous propose de faire un petit détour par un jeu bien connu : le jeu du «Qui est-ce ?»
Reconnaître une espèce : le jeu du Qui est-ce ?
Le principe de ce jeu est assez connu : il y a un ensemble de portraits de personnes, et vous devez faire deviner lequel vous avez devant vous en répondant à des questions (est-ce qu’il a des lunettes, est-ce qu’il est blond, etc).
C’est donc un ensemble de critères qui permettent de décrire la personne que vous avez sous les yeux et qui permettent de la différencier du reste du groupe. Pour la nommer et la reconnaître, vous devez donc être attentif à comment elle est.
Et bien, c’est exactement la même chose avec une espèce : pour différencier un goéland dans un groupe de mouettes, vous devez être attentif à comment il est et ce qui le différencie.
L’identification d’une espèce repose toujours sur un ensemble de critères qui, mis ensembles, permettent de déduire qu’il s’agit d’une espèce et non d’une autre.
On voit qu’ici, chercher à reconnaître et nommer, que ce soit une personne ou une espèce de plante ou un animal, oblige à être attentif à comment elle est.
Si vous vous arrêtez à dire que la personne que vous avez vue est brune, ça risque d’être compliqué de la retrouver dans un groupe de personnes. Mais si vous dite qu’elle est brune, avec des lunettes, un short et des baskets jaunes, ça devient beaucoup plus simple.
De la même manière, si vous vous arrêtez à dire que vous avez vu un petit oiseau marron, ça va être compliqué de savoir de quelle espèce il s’agissait.
Alors que si vous parlez de son bec, de marques qu’elle a dans le plumage, de sa taille par rapport à d’autres oiseaux, … ça devient beaucoup plus simple (vous pouvez retrouver un article sur comment reconnaître les oiseaux juste ici 😉).
En donnant un objectif – nommer – suscite aussi un intérêt et de la curiosité, ce qui facilite la mémorisation 3-6.
Mais reconnaître une espèce n’est pas forcément évident. Il y a potentiellement beaucoup de critères à retenir pour chacune et, à moins de se plonger dans un apprentissage et de faire un vrai effort volontaire, ça peut sembler peu accessible.
En fait c’est essentiellement une histoire d’observation et de mémorisation …
Ce qui nous amène à l’intérêt de prendre des notes dans un carnet en faisant du Nature journaling 🙂.
Cela vous permettra de garder une trace de vos observations et de les retenir à long terme sans faire un gros effort d’apprentissage puisque vous pourrez construire vos connaissance au fur et à mesure.
Pour finir sur les intérêts d’apprendre à nommer et reconnaître le vivant qui nous entoure, je vous propose de voir un peu plus en détail pourquoi c’est aussi une super manière de mieux retenir.
Nommer pour mieux retenir
Comme on l’a vu, nommer donne un objectif, rend plus curieux et plus attentif. Tout ça joue un rôle essentiel dans la mémorisation3-7.
Le nouveau mot appris constitue alors une ancre ou une valise dans laquelle vous pouvez mettre tout un tas d’informations. Le simple fait de vous rappeler ce mot fera alors revenir ces informations.
Par exemple, si vous connaissez le mot «Pinson», vous commencerez d’abord à associer l’aspect de cet oiseau à ce mot et pourrez retenir cet aspect beaucoup plus facilement.
En pensant à «Pinson», vous penserez alors tout de suite à son gros bec conique, à la couleur rose du mâle, aux marques blanches qu’il a dans le plumage, …
Chaque nouvelle information que vous apprendrez sur cet oiseau pourra être mise dans la valise «Pinson» et sera beaucoup plus facile à retenir. Petit à petit, vous pourrez la remplir avec sa durée de vie, ce qu’il mange, quelles stratégies il a pour passer l’hiver, …
Sans ce mot, ces informations auraient été très difficiles à retenir puisque vous n’auriez pas eu quelque chose à quoi les rattacher.
Apprendre à nommer vous ouvre donc des portes et vous permet d’apprendre à mieux connaître la nature.

Une fois la boîte Pinson créée, vous pouvez y ranger facilement tout un tas d’informations
Il ne faut donc voir le fait de nommer les espèces comme une fin en soi ou comme un moyen d’avoir l’air savant. C’est simplement un outil pratique pour apprendre à mieux observer et mieux connaître le vivant qui nous entoure.
Ce n’est pas un outil indispensable non plus. Vous pouvez très bien apprendre à observer la nature et reconnaître les espèces à l’aide d’un journal par exemple.
Même sans connaître le nom d’une espèce, avec cet outil, vous pourrez avoir appris à l’observer précisément et la différencier d’autres espèces.
Par contre, sans journal et sans nommer, ce sera très compliqué d’observer précisément, attentivement, et de mémoriser, puisque la mémoire n’aura plus aucune «ancre» pour attacher les souvenirs et les informations.
Mais nommer peut aussi être un piège, qui paradoxalement, finit par nous rendre moins attentif et moins curieux.
Tenir un journal nature peut alors permettre d’éviter ce risque.
Je vous propose de voir ça tout de suite avec la dernière partie de cet article !
Le piège de chercher à nommer et le rôle du Nature journaling
Les étiquettes comme filtres qui nous empêche de voir
Avant de découvrir le Nature journaling, je dois dire que je suis un peu tombé dans ce piège.
Après avoir appris à nommer les espèces les plus communes que l’on peut rencontrer, j’ai fini à ne plus trop trouver d’intérêt là-dedans.
J’ai perdu petit à petit la curiosité pour la nature, c’était à peu près toujours les mêmes espèces que je rencontrais et, après avoir appris à les reconnaître, je ne voyais pas trop ce que je pourrais découvrir de plus.
Au lieu de voir des plantes, des animaux, et des individus, je collais des étiquettes, qui avaient fini par me rendre complètement aveugle au reste.
Après avoir appris à nommer les espèces, je pensais les connaître et je passais complètement à côté des comportements, des modes de vie, des stratégies de survie de ces espèces ou encore des différences qui existent entre les individus d’un groupe par exemple.
C’est un vrai risque : nommer peut finir par éroder la curiosité et faire subir une sorte de «syndrome de l’expert» qui guette toute personne qui acquiert un certain niveau.
Ce phénomène est assez répandu, a été étudié et a été nommé «effet Dunning Kruger» : quand on progresse dans un domaine, on finis par penser savoir plein de choses, être vraiment compétent, alors qu’en fait, on ne fait qu’effleurer le sujet et qu’il nous reste énormément de choses à découvrir.

Effet «Dunning-Kruger» schématisé et simplifié (Arjuna Filips, Wikimédia)
L’attention, la curiosité et le Nature journaling à la rescousse
«L’esprit du débutant contient beaucoup de possibilités, alors que celui de l’expert en contient peu.» – Shunryu Suzuki
Et puis j’ai découvert le Nature journaling, qui permet d’apprendre à observer avec attention et curiosité.
Cette démarche, d’observer attentivement, avec curiosité, en se posant des questions, est aussi celle de la démarche scientifique : explorer, ne pas avoir de certitudes, et se baser sur les faits.
Elle permet de garder «l’esprit du débutant»: un esprit ouvert, curieux, plein de possibilités.
En Nature journaling, la démarche classique est d’avancer pas à pas : on observe avec curiosité, sans interpréter, on se pose des questions, on essaye d’apporter des explications, que l’on confronte ensuite avec la réalité. C’est une démarche d’exploration.
Pour éviter de faire des interprétations trop rapides et définitives, on utilise le «langage de l’incertitude», propre à la science.
Il s’agit d’utiliser des mots qui montrent que nos explications sont seulement des hypothèses, et qu’on se donne le droit de se tromper et de changer d’avis si de nouvelles observations nous donnent tort.
Au lieu de se retrouver comme bloqué et engagé en ayant dit «j’observe ça, c’est parce que ceci ou cela …», on peut plus facilement revenir sur ce que l’on pensait et avoir une vision plus juste de la réalité.
Concrètement, ça peut être d’utiliser des mots comme : «je remarque …», «il me semble que …», «j’ai l’impression que …», «est-ce que ça pourrait …»
On ne s’emballe pas et on ne fait pas passer des hypothèses que l’on fait pour des certitudes.
On se demande à quel point ces hypothèses peuvent être soutenues par des preuves et à quel point ces preuves sont solides.
Toute cette démarche peut sembler un peu fastidieuse mais c’est ce qui permet de faire réellement des découvertes, de mieux observer et de mieux connaître le vivant qui nous entoure. Une fois adoptée, ça devient une habitude qui demande finalement très peu d’efforts.
Cette démarche permet aussi au passage d’entraîner son esprit critique 🙂.
Le Nature journaling permet au final une autre approche, qui consiste à apprendre à observer, connaître, être curieux, sans avoir forcément besoin de nommer. On observe une espèce précisément, comment elle est, ce qui fait qu’elle est différente d’une autre et on note le tout dans son journal (ce qui permet de le retenir).
Pour finir
Apprendre à nommer est un moyen formidable d’explorer et de mieux connaître le monde vivant qui nous entoure.
Cela permet d’être plus curieux, de mieux observer et de retenir beaucoup plus facilement ses observations.
En cherchant à nommer, on apprend à voir les différences et finalement, le monde paraît plus riche et plus diversifié.
Mais attention à ne pas tomber dans le piège du syndrome de l’expert et à limiter le vivant qui nous entoure à des étiquettes et à une liste de critères de détermination.
La nature est bien plus riche que ça et les comportements, les modes de vie, les stratégies de chaque espèces sont passionnants à explorer.
En allant un peu plus loin, les comportements et caractéristiques de chaque individu peuvent aussi être explorés.
Le Nature journaling est un outil idéal pour ça : il permet d’apprendre à observer précisément, avec curiosité et permet de retenir ses découvertes.
Pour en savoir plus sur pourquoi nommer les espèces est une très bonne manière d’apprendre à découvrir la nature et comment faire concrètement, vous pouvez aller faire un tour sur cet article.
Et pour découvrir une stratégie pour apprendre à reconnaître rapidement les espèces les plus communes qui vous entourent (oiseaux, papillons, plantes, …), vous pouvez vous rendre sur cet article. L’approche est un peu scolaire mais elle est très efficace 🙂.
Enfin, vous pouvez en savoir plus sur le Nature journaling et comment démarrer en vous rendant dans cet article et en téléchargeant le guide gratuit disponible juste en dessous.
Si vous avez des questions ou partages, rendez-vous dans l’espace commentaires juste en-dessous, j’y répondrais avec plaisir ! 🙂
Bonnes découvertes nature et à très vite !
Ressources
(1) Roberson, D.; Davidoff, J.; Davies, I. R. L.; Shapiro, L. R. Colour Categories and Category Acquisition in Himba and English. Prog. Colour Stud. 2006, 159. https://doi.org/10.1075/Z.PICS2.14ROB.
(2) How do Namibian Himbas see colour? 2016
(3) Curiosité, apprentissage et numérique, ce que dit la recherche. Réseau Canopé
(4) Galli, G.; Sirota, M.; Gruber, M. J.; Ivanof, B. E.; Ganesh, J.; Materassi, M.; Thorpe, A.; Loaiza, V.; Cappelletti, M.; Craik, F. I. M. Learning Facts during Aging: The Benefits of Curiosity. Exp. Aging Res. 2018, 44 (4), 311–328.
(5) Yuhas, D. Curiosity Prepares the Brain for Better Learning. Scientific American.
(6) Gruber, M. J.; Ranganath, C. How Curiosity Enhances Hippocampus-Dependent Memory: The Prediction, Appraisal, Curiosity, and Exploration (PACE) Framework. Trends Cogn. Sci. 2019, 23 (12), 1014–1025.
(7) Martinez, S.; Wenger, É.; Raut, J. La mémoire est un jeu, Illustrated édition.; Premier Parallèle: Paris, 2018.
Pour découvrir la nature, au-dela des noms des espèces la série de livre «La nature en bord de chemin» de Marc Giraud est vraiment excellente.
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